Rhein, Rhin, Rijn, Waal    
Par Thierry Girard    

Un voyage le long du Rhin depuis sa source jusqu'à son embouchure.
A journey along the Rhine River from the source to the mouth.

Il s’est construit autour du Rhin une image de l’espace romantique par excellence, l’image du fleuve aimé des écrivains, poètes et philosophes, des peintres, des dessinateurs et des voyageurs.

Le Rhin, notamment dans sa partie autrefois périlleuse de la trouée héroïque, incarne encore plus que le Danube la tradition romantique du paysage avec l’exaltation du Sentiment de la Nature et de la quête du  Sublime. Mais aujourd’hui, il est difficile pour qui voyage le long de ses rives, même en ses parties les plus pittoresques, de retrouver cet esprit romantique. Le Rhin a subi rudement les assauts de la modernité : urbanisation, industrialisation, et surtout ces travaux successifs de régulation qui ont fait du fleuve une sorte d’autoroute à péniches, mais qui aussi en ont supprimé les dangers, les caprices extrêmes et les rives incertaines, avec les légendes qu’ils engendraient.

Ce travail est en quelque sorte une confrontation entre la réalité contemporaine du paysage et ses images perdues, subliminales : celles du fleuve légendaire, berceau de mythes et d’épopées ; celles du fleuve tragique et romantique; celles du fleuve industriel qui, rétrospectivement, peut susciter quelques nostalgies esthétiques; celles même du fleuve pittoresque et amène d’un August Sander. Dans cette  réinterprétation du paysage rhénan, il y a malgré tout, ne serait-ce que par la récurrence de certains choix esthétiques, des convergences, des rappels, des résistances qui créent des continuités avec l’histoire de la représentation du Rhin. Il y eut notamment à la fin du voyage, lorsque le paysage s’adoucit et s’aplatit sous l’étrange lumière brouillée de l’été, ce moment où le ciel, le fleuve et ses rives ne se heurtent plus mais fusionnent. On comprend alors la manière dont les peintres hollandais ont traité la question de la lumière qui modèle, façonne, construit ou dissout le paysage.

Tout nouveau regard est une réinvention du paysage et il s’avère que les images d’aujourd’hui peuvent aussi remplacer les images perdues, tel un palimpseste où la dernière écriture recouvre les plus anciennes tout en se nourrissant de leurs effacements successifs.

Étrangement, à quelques exceptions près —ainsi en amont de Bâle lorsque le fleuve est encore “ authentique” —, les lieux d’un regard contemporain s’avèrent finalement très distincts des lieux historiques de la représentation rhénane, souvent mités par un environnement touristique qui les rend tristement prosaïques.

Le fleuve change de forme et d’histoire, le regard se déplace, et de fait, malgré les blessures et les disparités, la magie continue, en quelque sorte. La lumière vive s’étend sur un fleuve pacifié et le Rhin ainsi revisité  conserve son étrangeté, sa beauté et son imago, c’est-à-dire sa capacité à engendrer des images.

© Thierry Girard, 2000.

Ce voyage le long du Rhin, de la source jusqu’à l’embouchure, a été accompli entre novembre 1998 et février 2000.

 
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