Shanghai The Last station    
par Thierry Girard    

Shanghai • The Last Station

Alors que s’est achevée fin décembre ma double exposition A l’entour des êtres, présentée à la fois à l’artothèque de Vitré et à l’Institut Confucius de Bretagne à Rennes ; alors que doit paraître dans les jours prochains une revue numérique consacrée à Shanghai (Shanghai, NØ City Guide), éditée par le site Urbain, trop urbain, et à laquelle j’ai participé par deux séries photographiques ; et alors que, après une année blanche de voyage en Chine, j’espère renouer prochainement avec mon tropisme shanghaien, il me semble temps de développer ici ce travail que j’ai entrepris sur les limites urbaines de la ville.

J’avais déjà évoqué les prémices et le making-off de ce travail dans cet article, Petites scènes de la vie shanghaienne # 4 , but let’s go further…Where Shanghai metropolitan ends.

La croissance, la richesse de Shanghai, la transformation du centre ville autrefois populaire en un espace dédié aux affaires, au commerce, aux loisirs et aux résidences “chics“ —et de fait, désormais réservé aux classes les plus aisées— ; l’afflux de populations venant de toutes les régions de Chine pour y chercher, sinon fortune, du moins un autre avenir que celui qui leur était promis, tout ceci oblige l’immense métropole (26 millions d’habitants ?) à accroître jour après jour son Lebensraum. A cela s’ajoute une frénésie de construction qui cache un blanchiment d’argent trop vite gagné et qui crée une bulle immobilière dont le possible, voire probable, éclatement risque de mettre à mal l’ensemble de l’économie chinoise.

La transformation de Shanghai downtown est certes impressionnante et le paysage urbain se modifie au rythme où croissent les bambous, pour le meilleur —une architecture de plus en plus élaborée qui en fait une belle ville—, et pour le pire —la dilution du tissu social historique et de la culture qui le constitue. Nombreux sont les photographes qui ont documenté depuis des années cette évolution radicale. Pour ma part, j’ai fait le choix de privilégier une approche de la ville à partir de ses habitants, ayant réalisé depuis 2007 un ensemble de triptyques intitulé Women in Shanghai, où j’associe des portraits de jeunes femmes avec leur environnement immédiat. Voir les articles suivants : Déjà ≠ 3 Shanghai et Un Printemps à Pékin.

Mais, j’avais depuis longtemps envie de sortir de l’espace “confiné“ et sur-photographié du centre ville. Lors de mon dernier séjour en novembre 2010, j’ai donc décidé d’aller voir à quoi ressemblait la ville vers ses limites, vers cette frontière toujours repoussée où le drapeau shanghaien est planté, jour après jour, sur des terres nouvellement conquises. Parfois des terres vierges sur lesquelles s’élèvent soudain d’improbables cités minérales, hautes comme des montagnes et noyées dans la brume ; parfois des terres habitées depuis longtemps, hameaux et bourgs modestes qui voient arriver des machines à détruire et à araser pour faire place nette ; parfois des banlieues ordinaires, comme dans toute grande ville, avec ses usines, ses entrepôts, ses ateliers, ses immeubles, ses commerces, où la vie semble organisée depuis une poignée de décennies déjà, et qui semblent presque en retrait par rapport à l’ébullition urbaine actuelle.

Pour déterminer géographiquement ce limes incertain et fluctuant, j’ai choisi de m’en remettre, de manière un peu arbitraire, à la progression du métro shanghaien dont les lignes se sont multipliées ces dernières années —grâce notamment à l’Expo Universelle— et semblent suivre tout uniment la progression régulière de la conquête du territoire. Le plan du métro fait penser à une sorte de Léviathan étendant ses tentacules toujours plus longues vers quelques nouvelles proies. J’ai donc entrepris une série de voyages métropolitains jusqu’à la dernière station, afin de voir à quoi ressemblait la ville au bout des tentacules : une ville en train de se faire ou de se défaire, une ville ouverte le plus souvent, avec des paysages en attente de sacrifice urbain.

Ces lignes-tentacules sont actuellement au nombre de onze, ce qui fait vingt-deux extrémités : si l’on excepte la ligne circulaire et quelques stations downtown, ce sont dix-sept extrémités qui peuvent faire l’objet d’une invitation au voyage, sachant que les lignes continuent de croître et qu’on devine déjà au bout de certaines stations, l’annonce de la prochaine. J’ai travaillé sur neuf d’entre elles, choisissant de n’y consacrer à chaque fois qu’une seule journée de travail. De fait, il ne s’agissait pas pour moi de faire un travail documentaire précis et exhaustif sur la situation urbaine de chaque extrémité (travail qui aurait alors nécessité à chaque fois un séjour plus long), mais bien d’être en voyage, passant d’une station à l’autre comme dans mes itinéraires habituels, tout en essayant de saisir, dans un temps limité, mais de la manière la plus juste possible, l’essence et la singularité d’un lieu. J’ai ainsi conçu ce projet comme une sorte de performance où le défi consiste à réunir en quelques heures, en un lieu inconnu et incertain, non repéré à l’avance, un ensemble cohérent d’images permettant de représenter et d’identifier les alentours d’une station de métro qui jusqu’alors n’était qu’un nom énigmatique sur une carte —y compris pour mon assistant shanghaien tout aussi dépaysé et sidéré que moi…

Paysages et scènes urbaines traités à la chambre 4 x 5, portraits réalisés au moyen-format, chaque entité, chaque station est constituée de ce composite qui fait aussi la spécificité de mon travail photographique.

Le résultat —provisoire, en attendant donc de pouvoir prochainement compléter et achever ce travail— montre de façon évidente qu’à partir d’une problématique commune, ce sont bien des territoires différents et singuliers qui se sont offerts à notre discernement. Par contre, du côté de ceux qui y habitent ou y travaillent, le fil rouge est le même : l’immigration en provenance de provinces plus pauvres.

© Thierry Girard

https://wordspics.wordpress.com/2012/01/29/shanghai-•-the-last-station/

 
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