The Tenjin Omuta Line    
Thierry Girard    

 

 

 

The Tenjin Omuta Line est une ligne de train qui relie Fukuoka, ville la plus importante de l’île de Kyushu au Sud du Japon, à Omuta, une ville moyenne située au bord de la mer d’Ariake. L’opérateur est la compagnie privée Nishitetsu (Nishi-Nippon Railroad).
La distance entre les deux villes est de 75 kilomètres et la compagnie dessert 47 stations entre la gare de départ et celle d’arrivée, ce qui signifie que les distances entre chaque station sont très courtes. Nous sommes sur un format qui est entre le métro et le RER. De fait, il y a trois types de train : le train local, qui s’arrête à toutes les stations, ressemble à un métro, du moins à ceux de Tokyo, avec ses longues banquettes en vis-à-vis, accolées aux parois du wagon.
Les trains express (qui ne s’arrêtent pas dans les plus petites stations) et les limited express qui relient les principales villes traversées en un temps encore plus court ressemblent à des trains normaux ou plutôt à des RER confortables et silencieux.
La ligne connait des rush hours, tôt le matin et en fin d’après-midi, surtout sur la partie comprise entre Kurume et Fukuoka, soit environ la moitié du trajet. Travailleurs, salarymen (and women), écoliers et collégiens (tous en uniformes) constitue alors l’essentiel de la marée humaine.
Durant les heures creuses, certains trains, notamment les locaux, sont presque vides. C’est le moment des personnes âgées, des promeneurs ou des jeunes femmes avec leurs enfants en bas âge. Il y a peu de touristes, à l’exception de ceux qui vont visiter le temple Daizenji.
Cette ligne de train traverse plusieurs types de paysage : elle traverse le Grand Fukuoka sur huit kilomètres, puis un paysage de banlieue périphérique jusqu’à Futsukaichi et Murasaki, avec parfois des villes relativement importantes. Une rupture s’opère peu à peu et laisse alors apparaître un paysage plus rural. Certaines gares qui ne sont desservies que par le train local, telle Ajisaka, ne comportent même pas de personnel de quai, et les voyageurs payent en sortant directement au conducteur du train, comme dans un bus. Puis on retrouve du côté de Kurume, un nouveau centre urbain avec sa banlieue. Enfin, jusqu’à Omuta, il y a une alternance de petites villes où l’urbanisation n’est pas très dense, et de villages où l’on peut se demander s’il y a un centre ou une rue principale, tant la gare semble parfois posée au milieu de nulle part. La gare de Kanagawa qui vient d’être totalement rénovée par Nishitetsu, semble la promesse d’un renouveau pour cette petite ville, alors qu’Omuta, au bout de la ligne, n’est plus la ville active qu’elle fût autrefois, lorsque, autour de l’exploitation du charbon, tout un tissu industriel s’était créé au fil des décennies. La dernière mine a fermé en 1997, mais dès les années 80, le déclin industriel était amorcé.
La population est tombée de 208 000 habitants en 1959 à quelques 125 000 aujourd’hui. Grands magasins fermés ou vieillots, boutiques closes, rues désertes, la gare terminus est à l’image de la ville, abandonnée et entourée d’échoppes modestes.

Le projet artistique s’inscrit dans la continuité de ma problématique de travail autour de la question de l’itinéraire et du parcours. Il est plus précisément dans la continuité du travail que j’avais fait au Japon sur La Route du Tokaido en 1997, et il est le développement d’un autre projet encore inédit sur la Yamanote Line à Tokyo, commencé en 2012 et continué en 2015.

Comme le travail sur La Route du Tokaido, ce projet s’intéresse particulièrement aux paysages vernaculaires du Japon, dans lesquels apparaissent de manière récurrente des artefacts et des éléments symboliques qui renvoient à la culture traditionnelle japonaise (Torii shinto, tombes, arbres et jardins, carpes flottantes pour fêter les garçons etc.). C’est aussi un inventaire de l’étrangeté de l’œkoumène japonais avec une diversité sans pareille de propositions architecturales et de situations paysagères. C’est le Japon loin des clichés habituels de l’extrême modernité ou de la plus raffinée des traditions. Pour tout dire, c’est un peu le bazar ; et dès que l’on s’éloigne des centres urbains, on découvre un Japon ni pauvre, ni riche, tout simplement modeste, mais particulièrement attachant.
Comme pour La Route du Tokaido, j’ai respecté la continuité géographique dans la restitution du parcours. Par contre, si les paysages de Tokyo photographiés depuis la Yamanote Line sont tous pris depuis l’intérieur de chaque gare, depuis les quais ou les différentes plateformes, j’ai pris la liberté pour ce nouveau projet, lorsque cela était nécessaire, de sortir des gares de la Tenjin Omuta Line afin de trouver alentour des points de vue plus intéressants sur un plan documentaire ou plus riches sur le plan esthétique. Ces vues extérieures sont toutes dans une réelle proximité de la gare concernée, au point même que j’ai essayé régulièrement d’y inscrire des éléments rappelant la présence du chemin de fer, tels les portiques.

Sur une distance relativement courte, c’est donc une alternance de vues urbaines, périphériques et rurales qui se succèdent, toutes prise avec une chambre argentique grand format.

Les voyageurs que j’ai photographiés avec un Iphone sont à l’image de ce paysage : des gens pour la plupart modestes, dont j’ai essayer de saisir la diversité. Des personnes âgées, nombreuses, qui rappellent combien la société japonaise est une société vieillissante, mais aussi des plus jeunes. Je n’ai pas voulu trop insister sur les clichés de collégiens et de collégiennes en uniforme, j’ai préféré privilégier quelques personnages singuliers ou quelques attitudes étranges ou touchantes, comme ces gestes de proximité entre proches qui ne correspondent pas à l’image que l’on se fait habituellement du Japon. J’accorde beaucoup d’importance à cette “vérité“ des gens, je considère que cela rajoute du sens et de l’empathie au projet global.
La série complète comprend les 49 stations, avec quelques variantes.

© Thierry Girard, 2015

 

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